A quinze kilomètres de Châtenois en suivant la route des vins vers le Sud nous atteignons la magnifique ville médiévale de Ribeauvillé célèbre notamment pour sa fête des Ménétriers, Pfifferdaj, la plus ancienne des fêtes d'Alsace. Cette fête voit dès le 14ème siècle des centaines de musiciens et troubadours se rendre en ville pour célébrer les seigneurs de Ribeaupierre qui les protégeaient.
Mais aujourd'hui ce qui va nous occuper c'est le lien direct avec les Ribeaupierre, à savoir les 3 châteaux qui dominent la plaine.
Nous nous garons à la sortie Ouest de Ribeauvillé, côté vignoble, et partons pour une randonnée d'une douzaine de kilomètres. Nous commençons immédiatement par une pente à fort pourcentage comme souvent et nous retrouvons rapidement au milieu des vignes. Nos objectifs du jour apparaissent avec de gauche à droite, le Saint Ulrich, le Girsberg et le Haut-Ribeaupierre.
La première demi-heure de marche est en plein soleil et la pente ne cesse de s'élever. Au détour d'un virage nous parvenons à une zone de verger et un bien étrange animal nous surprend au milieu d'un pré. C'est une drôle de structure métallique élaborée à partir de matériaux de récupération dont la représentation propose un animal à trois têtes.
La forêt arrive bientôt et nous allons apprécier l'ombre apportée par les arbres, le sol est extrêmement sec et nous progressons sur un épais tapis de feuilles mortes. Nous croisons le sentier croix bleue qui monte depuis Bergheim et nous le suivons désormais plein ouest en restant sur la ligne de crête. Un premier col nous permet d'apercevoir au loin le château du Haut-Koenigsbourg.
Ce sentier très agréable nous amène au premier site remarquable de ce jour, le rocher Saint Jean. L'histoire raconte que nous sommes ici dans un haut-lieu des templiers ce que nous corrélons sans difficultés avec l'ancienne commanderie (Tempelhof) située dans le vignoble au-dessus du village de Bergheim. Dévolue aux chevaliers de Saint-Jean après 1312, cette bâtisse construite en 1257, fût démolie lors des révoltes paysannes en 1525 et reconstruite quelques années plus tard. Mais c'est une autre histoire.
Le sentier est très agréable et la pente est plus douce.
2° site remarquable, le Schlüsselstein ou rocher de la clé. Il est exceptionnel pour sa réputation mondiale en minéralogie, il regorge notamment d'améthystes et son exploitation est aujourd'hui interdite. Je vous renvoie à l'œuvre du colmarien Jacques Rothmüller qui l'a immortalisé vers 1839.
Nous poursuivons plein ouest vers le massif du Taennchel avant de bifurquer vers le Sud pour se rapprocher de la zone des trois châteaux. C'est l'occasion de passer devant l'un des nombreux calvaires qui se dressent sur les chemins alsaciens.
Nous avons atteint notre rythme de croisière et le sentier suit les courbes de niveau depuis une vingtaine de minutes. Un panonceau nous indique le premier château à 1 kilomètre et, après une courte ascension, le Haut-Ribeaupierre apparaît. Il est actuellement en attente de travaux et l'accès est limité. Nous pénétrons à l'intérieur par le porche principal et arrivons rapidement dans la cour intérieure. Situé à une altitude de 643 m, ce château est mentionné à la fin du 12ème siècle sous le nom d'Altenkastel. Les Altenkastel étaient une famille vassale à la fois des Ribeaupierre et de l'évêque de Bamberg.
A la fin du 13ème siècle les Ribeaupierre récupèrent le château en le dénommant Hohrappolstein et engagèrent durant les 2 siècles suivants de nombreux travaux pour renforcer la forteresse et l'adapter aux armes à feu. Il servit d'abord de résidence pour les seigneurs puis devint une prison. Désormais abandonné, il a besoin d'une remise en état.
Reprenons le cours de notre cheminement et attaquons la descente raide et glissante qui doit nous conduire au prochain château.
La cible est en vue et c'est le plus beau des trois avec des rénovations récentes, voici le Saint Ulrich. Situé en contrebas du Haut-Ribeaupierre, à 523 m, il est d'abord appelé Reginboldi pétra. Vers 1140, la première famille des Ribeaupierre édifie le château roman, le donjon et le logis seigneurial. En 1156, Emma de Ribeaupierre épouse Eguenolphe de Urslingen, un protégé de l'empereur Frédéric Barberousse. La seconde lignée va sans cesse agrandir et embellir le château jusque vers 1450.
Nous entreprenons l'ascension des 60 marches du donjon de ce château qui sera délaissé au milieu du XVème siècle par les seigneurs qui iront s'installer dans une nouvelle résidence en ville. En 1477, la chapelle castrale deviendra un lieu de pèlerinage dédié à Saint Ulrich qui lui donnera alors ce nom.
Au sommet du donjon la récompense est au rendez-vous avec une vue à 360°. Plein ouest l'enfilade de la vallée du Strengbach et la ligne bleue des Vosges à l'horizon.
Plein Est la plaine d'Alsace et le 3° château, le Girsberg. Dominant Ribeauvillé de ses 528 m d'altitude, il a été édifié entre 1250 et 1273 sous le nom de Stein in Rapolzstein. Construit sur un éperon rocheux il renforce ainsi la défense de son frère d'arme le Grand Rappolstein (Haut-Ribeaupierre). En 1304, les seigneurs de Ribeaupierre confient le château à l'un de leurs vassaux, les "Gyrssberg", signifiant en vieil allemand le Mont du vautour. En 1422, les Giersberg entrent en conflit avec leur suzerain et Maximin 1er de Ribeaupierre fait alors le siège du bastion et tue Jean Guillaume de Giersberg. Le château prendra alors le nom de Petit Ribeaupierre et la famille y installera un "burgvogt" autrement dit un intendant pour en assurer l'entretien et la garde.

Après ce détour historique, nous quittons cette zone fortifiée pour pénétrer plus en avant en forêt et retrouver la quiétude des bois et quoi de mieux que de rejoindre un couvent, et plus précisément le couvent des capucins. En effet à moins de 2 km se trouve un magnifique sanctuaire qui abrite tout à la fois une grande église, plusieurs chapelles et un abri pour pèlerins, bienvenue à Notre Dame de Dusenbach. Une première chapelle fut fondée en 1221 par Eguenolphe de Ribeaupierre, vous vous rappelez, le protégé de Barberousse. Il la fit construire à son retour de la quatrième croisade à l'emplacement de la cellule de l'ermite de la vallée de Dusenbach afin d'y placer une image de la Vierge rapportée d'Orient.

En 1260 et 1297, furent adjointes deux autres chapelles et surtout un aménagement d'un parcours de stations dédiées au Calvaire et d'une tour dédiée au Christ qui font du site le premier centre de pèlerinage marial d'Alsace. C'est ce parcours que nous allons emprunter pour rejoindre ce bel ensemble architectural. Et nous voilà repartis pour une centaine de mètres de dénivelé positif.
Presque vingt minutes plus tard nous atteignons le sanctuaire et nous mettons à l'ombre des bâtiments. De nombreux aménagements sont réalisés à la fin du 15ème siècle. Les chapelles furent détruites pendant la guerre de Cent ans (1360), puis la guerre de Trente ans (1632) et enfin durant la Terreur (1792). Elles furent à chaque fois reconstruites à l'identique.
Entrons maintenant dans l'église où la fraicheur nous saisit instantanément.
Ce qui frappe rapidement lorsque l'on pénètre dans ce sanctuaire c'est tout d'abord l'excellent état d'entretien des lieux et surtout la couleur ou plutôt les couleurs. Nous l'avions déjà remarqué tout au long du chemin de Croix avec des stations parfaitement rénovées et, ici, cela prend encore plus d'ampleur. Admirez l'autel ci-dessous.


Tout autour de l'autel se trouvent de très nombreuses bannières de procession témoignant s'il le fallait de l'engouement encore très fort pour le pèlerinage de Dusenbach. Un peu de technique et d'histoire maintenant. Une bannière est composée d'une grande pièce d'étoffe richement décorée et enjolivée, suspendue à un long manche, de manière libre ou flottante, l'important étant qu'elle doit toujours être bien visible dans son entier, recto et verso. c'est un moyen d'identification qui est porté haut et fièrement pour être vue de loin. Comme vous le voyez sur la photo ci-dessous, les bannières sont souvent laissées au sanctuaire par les pèlerins afin qu'elles servent ensuite d'ex-voto, à savoir un objet symbolique déposé dans un lieu vénéré à la suite d'un vœux ou en remerciement d'une grâce obtenue.

Nous quittons ce lieu particulièrement calme pour conclure cette randonnée en empruntant le sentier dit "Maria Raydt" qui va nous ramener à Ribeauvillé à travers forêts et vignes. Le nom est celui d'une confrérie mentionnée dès le début des années 1320 qui avait pour but le "soutien pour corps et âmes". Cette confrérie existe encore de nos jours et le sentier tel qu'il apparaît actuellement fut réalisé en 1931. D'après les textes, les travaux d'abattage d'arbres et d'enrochement ont été réalisés par treize ouvriers forestiers de la Grande Verrerie et le percement des rochers aurait nécessité près de 300 tirs de mine.
Nous atteignons la ceinture fortifiée de Ribeauvillé que nous longeons sur 250 m environ avant de rejoindre le parking et qui nous propose une dernière montée à près de 5%.
Un dernier coup d'œil sur les châteaux vient conclure cette belle randonnée qui nous aura fait voyager dans le temps et l'Histoire.